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Les débats autour du score environnemental textile

Marie Petitalot
Marie Petitalot
Market intelligence analyst
Publié le
April 13, 2023
Les débats autour du score environnemental (Eco-score) textile

Relancé par la loi Climat et Résilience, l’affichage environnemental - score d’impact environnemental qui permet au consommateur de comparer des produits entre eux - va devenir obligatoire sur les vêtements en France à partir de 2024.

Cette décision va dans le sens d’une mode plus transparente et durable, et de la responsabilisation des consommateurs d’articles d’habillement. Suite à un long travail de l’ADEME et des acteurs de la filière textile, une méthodologie officielle unique d’affichage environnemental sera publiée fin 2023.

Mais il y a de grands enjeux dans le choix de méthodologie qui doit être fait : le score environnemental doit permettre de réorienter la consommation, et servira de référence pour les stratégies d’éco-conception des marques de mode. Il faut donc s’assurer qu’il prenne en compte les bons impacts et que son fonctionnement soit efficace.

→ Quels impacts prendre en compte dans le score environnemental des textiles ?
→ Quel doit être le niveau de spécificité de la donnée d’entrée ?
→ Comment présenter l’affichage environnemental au consommateur et quelle échelle de notation adopter ?

Après un premier article sur la chronologie du déploiement de l’affichage environnemental, et un point sur son socle méthodologique, voici un point sur les questions qui se posent lors du choix de méthode.

Les impacts à prendre en compte pour un affichage environnemental représentatif de l’empreinte des vêtements

L’objectif d’un score environnemental sur les articles d’habillement, c’est qu’il soit révélateur de leurs impacts sur l’environnement pour que les consommateurs soient encouragés à choisir les vêtements qui sont réellement les plus vertueux.

Mais la méthodologie officielle qui deviendra obligatoire n’a pas encore été finalisée, notamment du fait d’arbitrages difficiles à faire sur le choix des indicateurs à prendre en compte et sur leur pondération.

En France, un socle méthodologique a été formé par l’ADEME, sur lequel vous pouvez lire plus de détails dans cet article. Les choix qui y ont été faits sont challengés par différents acteurs de la filière textile (ex : DEFI Mode, UIT) et des spécialistes du calcul d’impact (ex : Clear Fashion) qui ont pu proposer leurs méthodes alternatives lors de l’appel à projets Xtex organisé par l’ADEME.

Voici les principaux enjeux qui posent question lors du choix des indicateurs pour le score environnemental.

Le nombre d’indicateurs à intégrer au calcul de score environnemental

Deux dimensions sont à considérer lors de la sélection des impacts à intégrer à la méthodologie de l’affichage environnemental : la faisabilité, et la qualité des indicateurs.

Un choix trop restreint d’indicateurs ne reflète pas finement l’impact du produit sur l’environnement, mais la multiplication des indicateurs peut rendre le calcul du score environnemental trop complexe et coûteux, donc nuire à la faisabilité de son déploiement.

En plus, certains impacts sont difficiles à mesurer avec des indicateurs de qualité. Ecobalyse, l’outil de calcul d’impact automatisé développé dans le cadre de la construction de la méthodologie d’affichage environnementale pour le secteur textile, classe les indicateurs environnementaux du score PEF (Product Environmental Footprint européen) selon 3 niveaux de recommandation :

  • Niveau I : Qualité satisfaisante
  • Niveau II : Qualité satisfaisante, mais à améliorer
  • Niveau III : Donnée incomplète à utiliser avec prudence

Par exemple, les indicateurs utilisés pour modéliser l’utilisation des sols, l’utilisation de ressources minérales ou métalliques et l’utilisation de ressources fossiles - bien qu’étant les meilleurs disponibles à ce jour - sont classés niveau III.

Quand il s’agit d’utiliser des indicateurs dans un but de comparaison, comme pour le score environnemental, Ecobalyse indique que les indicateurs de niveau II peuvent être utilisés - en prenant des précautions dans leur interprétation. Il émet par contre une réserve sur les indicateurs de niveau III, et recommande de discuter des résultats obtenus avec et sans leur intégration à la méthode de calcul.

Deux priorités se dégagent donc de la réflexion sur la sélection des indicateurs de l’affichage environnemental :

  1. Choisir les indicateurs modélisant les impacts les plus significatifs des vêtements, avec un point de vigilance sur la qualité de la donnée
  2. Continuer à travailler à une amélioration continue de la donnée et des méthodologies de calcul pour que de plus en plus d’indicateurs soient de qualité satisfaisante et puissent être ajoutés à la méthode

La pondération des indicateurs dans le score environnemental final d'un vêtement

Une fois que les indicateurs ont été sélectionnés, ils doivent être agrégés dans un score environnemental unique. Pour cela, il faut décider quel poids accorder à chacun dans le résultat final.

Cette pondération doit refléter les objectifs définis pour l’affichage environnemental, et la manière dont ils ont été priorisés.

La méthode PEF privilégie les émissions de gaz à effet de serre, puisqu’elles représentent 21% du score agrégé, les autres indicateurs représentant entre 1 et 9%. Retrouvez ici les coefficients des 16 impacts pris en compte dans le score PEF.

L’article 2 de la loi Climat et Résilience indique que l’affichage environnemental doit rendre compte des impacts pertinents pour chaque catégorie de produits, impacts qui seront publiés via un décret d’application. La loi met quand même un accent sur les émissions de gaz à effet de serre, les atteintes à la biodiversité et la consommation d'eau et d'autres ressources naturelles.

Plus précisément, pour que l’agrégation des impacts ne masque pas l’impact du vêtement sur le changement climatique, défi le plus urgent pour le législateur, la loi exige que l’affichage environnemental fasse apparaître spécifiquement les émissions de gaz à effet de serre, en plus du score agrégé.

Les limites des socles méthodologiques existants pour une bonne prise en compte des impacts des vêtements

Les choix d’indicateurs qui ont été faits pour le socle technique de l’ADEME (voir notre article dédié) et la méthodologie PEF présentent des limites, pointées par Ecobalyse dans une section dédiée aux limites méthodologiques, et plusieurs acteurs du calcul d’impact, dont Clear Fashion, dans une tribune publiée le 27 février 2023.

Voici les limites des référentiels ACV de l’affichage environnemental textile :

  • La prise en compte de la biodiversité : certains indicateurs PEF ont un lien avec l’impact sur la biodiversité, mais sont insuffisants pour bien le refléter.
  • La prise en compte de la pollution plastique : les vêtements en fibres synthétiques rejettent des micro-plastiques lors du lavage et de l’utilisation, causant une pollution massive de l’environnement et de notre chaîne alimentaire. Cette pollution, qui est un des enjeux majeurs d’impact de l’industrie textile, n’est pas prise en compte dans le socle méthodologique ACV, ce qui introduit un biais contestable en faveur des fibres synthétiques.
  • La durabilité physique et émotionnelle des vêtements : la qualité des produits et la rapidité du renouvellement des collections influent fortement sur la vitesse à laquelle les consommateurs jettent leurs vêtements et en rachètent de nouveaux. Ces paramètres ont donc une grand influence sur l’impact de l’industrie textile sur l’environnement. Or, ils ne sont pas pris en compte dans les référentiels existants : aujourd’hui, les ACV sont calculées à partir de durées de vie standard pour chaque produit.
  • Le mode de production : le mode de calcul du référentiel ACV actuel ne prend pas en compte l’origine géographique des matières naturelles, qui pourtant a une incidence sur leur impact (ex : besoin d’irrigation ou non selon les pays), ni les pratiques agricoles (agriculture biologique ou non). Par exemple, cela ne permet pas de valoriser le coton biologique par rapport au coton conventionnel, malgré son impact bien moindre.

Les limites de la méthode PEF ont été confirmées dans la proposition de directive européenne Green Claims, qui souligne notamment son incapacité à rendre compte du rejet de micro-plastiques des textiles. La Commission Européenne indique que l’affichage environnemental unique ne devrait donc pas reposer uniquement sur la méthode PEF.

En réponse à ces biais, Ecobalyse pose la question de la prise en compte de labels (ex : Oeko-Tex, agriculture biologique) dans l’affichage environnemental. Cela permettrait de refléter plus finement l’impact environnemental des articles textiles d’habillement, par exemple la pollution de l’eau.

Il s’agit encore de trouver un moyen d’intégrer cette information qualitative, et non quantitative comme les indicateurs de l’ACV, dans le calcul du score environnemental. Il est possible pour cela de s’inspirer de l’Ecoscore, utilisé pour les produits alimentaires : un système de bonus sur le score a été mis en place pour valoriser les pratiques agricoles vertueuses.

Le niveau de spécificité de la donnée utilisée dans le calcul du score environnemental des textiles d’habillement

Pour calculer le score environnemental d’un vêtement, trois approches sont possibles en termes de spécificité des données :

  • L’approche générique, qui s’appuie sur des données secondaires disponibles sur des bases de données. Ces données sont des moyennes et ne permettent pas une grande différenciation entre deux produits au poids et à la composition similaires.
  • L’approche spécifique, qui s’appuie sur des données primaires collectées par les entreprises. Cette approche permet de finement différencier les produits entre eux, car les données réelles du cycle de vie de chaque produit sont utilisées (ex : consommation d’énergie des usines, transport du produit).
  • L’approche semi-spécifique, solution intermédiaire que l’ADEME considère comme la plus adaptée pour l’affichage environnemental. Il s’agit de demander à l’entreprise d’entrer des données primaires pour des paramètres clés, et de les compléter avec des données secondaires (ex : l’entreprise entre le pays d’une étape de fabrication qui sera complété par la donnée par défaut du mix énergétique du pays en question).

Il y a ici un enjeu important, également soulevé par la proposition de directive Green Claims, qui est de trouver le juste milieu entre :

  • des données par défaut, qui sont des approximations, mais qui rendent l’affichage environnemental accessible à tous les acteurs, y compris les PME
  • des données réelles, qui permettraient de calculer des scores environnementaux très précis, mais dont la collecte est complexe et coûteuse

Il faut adopter une approche adaptée à tous les acteurs - quelle que soit leur capacité de collecte de données - pour que l’affichage environnemental puisse être généralisé, mais qui incite à affiner la donnée - pour que la précision de l’affichage environnemental puisse être améliorée en continu.

L’ADEME propose donc une solution incitative à l’amélioration continue de la donnée : utiliser des données par défaut, conservatrices (qui ont plutôt tendance à majorer le score), qui doivent être remplacées quand c’est possible par les données spécifiques des entreprises.

Un enjeu majeur ici pour les marques de mode est donc de collecter les données sur tout le cycle de vie de leurs produits pour pouvoir affiner leurs scores environnementaux et valoriser leurs produits. Pour cela, au vu de l’opacité des chaînes d’approvisionnement textiles, des processus de traçabilité doivent être mis en place.

Le score environnemental textile et le consommateur

Une fois que l’impact environnemental du vêtement a été calculé, il s’agit de le présenter au consommateur sous la forme d’un score qui lui permettra de comparer la performance environnementale des vêtements entre eux.

Ici, encore une fois, des questions se posent sur ce que doit permettre précisément de comparer le score environnemental et ses modalités de communication au consommateur.

L’échelle de notation

Une fois que les impacts ont été calculés et pondérés, il faut attribuer une note au produit textile.

Pour cela, il faut déterminer une échelle de notation à l’aide de produits représentatifs du marché servant d’étalons pour l’attribution des notes. Cela suppose un travail important d’échantillonnage des références disponibles sur le marché et de calcul de leur performance environnementale. Cela servira à configurer une échelle qui capture la diversité des produits et puisse mettre en valeur les plus vertueux.

Obtenir la note A doit être possible, tout en correspondant à des objectifs ambitieux, compatibles avec la trajectoire prévue par l’Accord de Paris, pour que les marques soient incitées à se transformer dans ce sens. Ces objectifs “repères” doivent être revus à la hausse au fur et à mesure des progrès de l’industrie, tout en assurant une certaine stabilité à l’échelle de notation dans le temps.

Il faut aussi choisir le type et la granularité de l’échelle (Lettres de A à 5, score sur 100 ou sur 10, couleurs, score absolu, etc.).

Le niveau de détail à afficher au consommateur

Un des objectifs de l’affichage environnemental est d’informer le consommateur de manière simple et claire sur l’impact environnemental des articles d’habillement. Cela va dans le sens d’un score unique agrégeant tous les impacts, qui permet une lecture en un regard de l’affichage environnemental.

Cependant, l’ADEME a aussi pour objectif de faire preuve de pédagogie auprès des consommateurs et leur rendre compte de l’approche multi-critères que reflète le score environnemental.

Alors, faut-il afficher le détail des impacts ? Plusieurs sous-scores thématiques par catégorie d’impacts ?

Cela dépend de la place disponible sur le produit, mais il est certain que le score agrégé doit être suffisamment mis en avant pour servir d’outil de comparaison au consommateur, et que les sous-scores doivent seulement servir à éclairer sur la méthodologie et le sens de l’affichage environnemental.

Quel que soit le niveau d’explications affiché sur le produit, la méthodologie doit être transparente et son détail accessible au consommateur.

D’autres informations peuvent également être ajoutées sur l’affichage environnemental pour donner plus de repères aux consommateurs : le score du “produit moyen” de la catégorie (avec ici encore un enjeu méthodologique sur la définition de ce produit moyen), un “budget” CO2 de référence par personne, etc.

C’est le choix qu’a fait l’Union des Industries Textiles dans sa méthode, dont voici le rendu de l’étiquette :

Exemple d'étiquette pour l'affichage environnemental des textiles, proposée par l'Union des Industries Textiles.

L’apparence et le support de communication de l’affichage environnemental

Le rendu visuel de l’affichage environnemental est très important pour bien aiguiller les achats de vêtements des consommateurs vers les références les plus durables. Un code couleur clair doit donc être choisi pour renforcer l’impact du score et la comparabilité entre les produits en un coup d’œil.

La question du support se pose aussi lors du choix des modalités de l’affichage environnemental : doit-il être apposé physiquement sur le produit ? Accessible de manière dématérialisée ?

Dans un rapport de ses échanges avec le groupe de travail en charge de l’affichage environnemental alimentaire, l’ADEME souligne la complémentarité de ces deux solutions :

  • L’affichage physique permet à l’affichage environnemental d’être accessible immédiatement et au plus grand nombre de consommateurs.
  • L’affichage dématérialisé permet de donner plus d’informations et d’assurer la transparence de la méthodologie sans surcharger l’étiquette d’informations.

L’interdiction de méthodes alternatives de calcul d’impact environnemental

Pour permettre aux consommateurs de comparer tous les produits textiles d’habillement entre eux selon des critères harmonisés, la loi Climat et Résilience prévoit d’interdire les affichages environnementaux alternatifs : seule la méthodologie officielle, qui sera validée par décret fin 2023, sera autorisée.

Cela inquiète plusieurs acteurs du calcul d’impact environnemental (Clear Fashion, Ecoeff Lab, Good Fabric, Green Score Capital, La Belle Empreinte), qui craignent une censure de l’information additionnelle et la généralisation d’une méthodologie imparfaite sans possibilité d’amélioration.

Alors, doit-il y avoir une seule ou plusieurs méthodes d’affichage environnemental autorisées ?

Il est évident que pour des raisons de clarté et de transversalité du score environnemental, un dispositif unique de calcul et d’affichage doit être affiché sur les produits. La coexistence de plusieurs scores concurrents, basés sur des méthodes de calcul différents et dont les résultats ne sont pas comparables entre eux nourrirait la confusion des consommateurs.

Il doit toutefois être possible d’apporter des informations complémentaires à la performance environnementale du produit (ex : impact social, impact sur la santé humaine, bien-être animal...).

La méthode choisie par les pouvoirs publics doit également être actualisée et perfectionnée au fur et à mesure de l’amélioration de la qualité des données, des méthodologies disponibles et des évolutions du marché et des impacts pertinents. Le groupe de travail actuellement mobilisé pour la construction de l’affichage environnemental doit donc perdurer même après l’entrée en vigueur de la méthodologie officielle et œuvrer à son amélioration continue.

Conclusion

Selon l’ADEME, si les modes de consommation ne changent pas, la mode représentera plus d’un quart des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Il y a donc urgence à les transformer, et l’affichage environnemental doit être un outil efficace de réponse à cette urgence.

Pour cela, la construction de l’affichage environnemental doit être guidée par des objectifs de politiques publiques ambitieuses et le dispositif doit être harmonisé avec les normes existantes afin de ne pas démultiplier les outils et créer une incertitude qui laisserait place au greenwashing.

Il y a en effet dans le choix de méthodologie un enjeu de lutte contre le greenwashing : l’affichage environnemental doit permettre de différencier les acteurs vraiment engagés dans des démarches d’éco-conception ambitieuses de ceux dont les stratégies ne s’inscrivent pas vraiment dans une trajectoire de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et de l’impact sur la biodiversité.

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