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Après les Green Claims : adopter une communication responsable dans la mode

Maïlys REBORA
Head of Business Intelligence
Publié le
June 24, 2025
Résumé extensible
Résumé de l’article

Alors que les négociations sur la directive Green Claims sont suspendues, les marques de mode se retrouvent une nouvelle fois sans cadre clair pour encadrer leur communication environnementale.

Ce contexte d’incertitude ravive les tensions entre sur-promesse et silence stratégique. Comment reprendre la parole sans reproduire les erreurs du passé ? Et sur quelles bases reconstruire une communication crédible, lisible et responsable ?

Cet article propose une lecture des enjeux, et une méthode pour en sortir par le haut.

Introduction

Alors que la directive sur les allégations environnementales est actuellement en suspens, l’initiative qui devait enfin apporter de la clarté à la communication environnementale se retrouve à l’arrêt, freinée par des tensions politiques autour de dispositions jugées trop contraignantes pour les petites et moyennes entreprises.

À première vue, cela pourrait sembler être une bonne nouvelle pour les marques de mode. Mais en réalité, cette situation crée un vide, qui entre en collision directe avec des attentes consommateurs toujours plus fortes.

Alors, pour éviter de retomber dans les mêmes travers, il faut regarder en arrière.

Se remémorer le temps où les engagements « green » étaient devenus la nouvelle norme. Où les mentions “éco-responsable”, “éthique” ou “durable” s’invitaient dans les vitrines et les fiches produit, rarement accompagnées de preuves concrètes. Où ambition se confondait avec exagération, dans un paysage sans définitions claires ni cadre légal partagé.

Se rappeler que ce flou a provoqué un retour de bâton. Et que ce retour de bâton a déclenché une vague réglementaire. Pas pour freiner les engagements, mais pour imposer un minimum de crédibilité.

Aujourd’hui, dans un contexte d’incertitude réglementaire, les marques doivent progresser sans cadre clair.

Alors comment reprendre la parole et rester crédible, sans retomber dans les excès du passé ?

C’est ce que nous allons explorer ensemble.

Les dérives de la communication responsable, partie 1 : de la scène aux coulisses

Revenons un instant en arrière.

Pour éviter de retomber dans les travers de la communication responsable, il faut d’abord en comprendre les origines.

Si les marques qui affichaient hier encore leurs engagements les ont peu à peu relégués hors de la vue du public, un constat s’impose : elles ont perdu confiance.

Confiance dans ce qu’elles sont en droit de dire, et dans la manière de le formuler sans risquer d’être accusées de greenwashing.

Le début de la communication responsable

Entre 2015 et 2020, à mesure que les enjeux de développement durable prennent de l’ampleur, les marques de mode commencent à les intégrer à leur communication, sans cadre clair pour en baliser les contours.

Parler de son impact environnemental devient alors un levier de différenciation : un moyen d’affirmer ses valeurs et de répondre aux attentes croissantes des consommateurs.Des termes comme “éco-responsable”, “vert”, “éthique”, “durable” ou “bon pour la planète” font leur apparition dans les lookbooks, sur les fiches produits, dans les newsletters ou les vitrines.

Les campagnes, elles, adoptent des codes visuels naturels, des formulations optimistes autour du climat, et un storytelling rassurant, souvent sans preuves concrètes pour en soutenir le propos.

La plupart du temps, les marques cherchent simplement à traduire des convictions honorables, sans mauvaises intentions.

Mais en l’absence de définitions partagées et de lignes directrices claires, ces intentions glissent vers des promesses, et ces promesses, vers des formulations marketing de plus en plus risquées.

Et ce phénomène commence à attirer l’attention.

Dès 2017, le Fashion Transparency Index, publié chaque année par Fashion Revolution, commence à documenter l’écart croissant entre ce que les marques déclarent… et ce qu’elles sont réellement capables de prouver. Données de traçabilité, composition des matières, indicateurs d’impact environnemental : autant de sujets sur lesquels le discours prend de vitesse les preuves.

En 2021, un rapport de la Changing Markets Foundation enfonce le clou : près de 6 allégations environnementales sur 10 dans le secteur de la mode seraient floues, invérifiables ou potentiellement trompeuses.

De son côté, le Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) alerte : ce flou contribue à entretenir la confusion et la méfiance côté consommateur.

  • Il manque un langage commun,
  • Une base de référence,
  • Et surtout : un standard de preuve.

La communication responsable est certainement née d’un élan de marché sincère. Mais elle s’est construite dans l’absence totale de règles.

La montée en puissance du cadre réglementaire

Entre 2021 et 2024, une série de mesures législatives commence à redessiner le paysage de la communication environnementale en Europe.

  • En mars 2023, la Commission européenne présente la directive sur les Green Claims, pensée comme un tournant dans l’encadrement des messages environnementaux. Elle vise à exiger que toute allégation environnementale (produit ou entreprise) soit spécifique, fondée sur des preuves scientifiques reconnues, et vérifiée par un tiers.
    En juin 2025 cependant, la proposition est suspendue, en attente de renégociation.
  • En février 2024, la directive « Empowering Consumers for the Green Transition » est adoptée par le Parlement européen.
    Elle impose aux entreprises de fournir des informations claires, fiables et comparables sur la durabilité des produits et leurs performances environnementales. Les États membres devront la transposer dans leur droit national d’ici début 2026.

Pendant ce temps, les contrôles s’intensifient.

En France, la DGCCRF commence dès 2022 à émettre des avertissements et à infliger des sanctions à l’encontre de marques utilisant des termes comme « neutre en carbone », « éco-responsable » ou « climatiquement positif », sans méthodologie claire, ni échéance temporelle, ni données traçables.

Partout en Europe, ONG et organismes de contrôle remettent en cause des campagnes jugées trompeuses, que leurs intentions soient sincères ou non, dès lors que les preuves documentées font défaut.

En quelques mois, le message est clair : des mots qui, autrefois, inspiraient la confiance peuvent désormais devenir des sources potentielles de litige.

Le grand repli

L’intensification des exigences réglementaires pousse les marques à battre en retraite.

À mesure que les règles se précisent et que les sanctions se multiplient, de nombreuses marques préfèrent se retirer du débat plutôt que de risquer un faux pas.

Un rapport publié en 2022 par South Pole révèle ainsi qu’1 entreprise sur 4 ayant fixé des objectifs de neutralité carbone choisit de ne pas les communiquer, par crainte d’être accusée de greenwashing.

Dans le secteur de la mode, ce repli se fait vite sentir : les descriptions produits sont épurées, les pages “durabilité” discrètement réduites, les engagements reformulés, voire totalement retirés.

Les marques agissent, mais n’osent plus le dire, comme si parler exposait plus que se taire.

Ce silence n’a plus rien de stratégique : c’est un repli défensif.

Les dérives de la communication responsable, partie 2 : quand le silence affaiblit la crédibilité

À mesure que le greenwashing devient un risque réputationnel majeur, le greenhushing s’installe comme sa version plus discrète, et supposément plus sûre. Pour beaucoup de marques, ne rien dire semble être la réponse la plus rationnelle dans un contexte devenu hautement sensible.

Mais aujourd’hui, le paysage a changé.

Près de dix ans après que la durabilité est devenue un levier marketing, et deux ans après les premières secousses réglementaires, un paradoxe étonnant s’installe : les marques agissent plus… mais parlent moins.

Des avancées invisibles

Vu de l’extérieur, le secteur de la mode peut donner l’impression de marquer le pas. Pourtant, en coulisses, les initiatives se multiplient : adoption de matières certifiées, programmes de reprise, cartographie poussée de la supply chain… Certaines marques lancent des services de réparation, d’autres expérimentent des plans de décarbonation ou alignent leur stratégie d’approvisionnement sur des objectifs scientifiques.

Mais dans l’espace public ? Pas un mot.

D’après la Fashion Industry Charter for Climate Action, près de 70 marques de mode dans le monde se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En France, le bonus réparation a déjà permis plus de 800 000 réparations en un an, un signal fort du soutien institutionnel et citoyen à la durabilité. Des plateformes circulaires comme Vestiaire Collective communiquent activement sur leur impact, évoquant jusqu’à 90 % d’émissions en moins grâce aux achats de seconde main.

Et pourtant, les marques qui rendent tout cela possible sont souvent les plus silencieuses.

Plus frappant encore : ce sont désormais les acteurs amont (fournisseurs de matières, recycleurs, certificateurs) qui occupent le devant de la scène, moins exposés juridiquement

Dans ce déséquilibre, une dynamique étrange s’installe : les fournisseurs parlent, les consommateurs écoutent… et les marques s’effacent de leur propre récit.

La transparence au cœur des attentes consommateurs

Un tel silence aurait déjà de quoi surprendre dans bien des secteurs.

Mais dans la mode, il étonne d’autant plus que les attentes des consommateurs n’ont jamais été aussi fortes.

Selon le rapport KPMG x FMC (Fédération de la Mode Circulaire) 2025, 65 % des consommateurs français considèrent désormais les engagements environnementaux d’une marque comme un critère déterminant dans leurs décisions d’achat. 40 % privilégient les marques qui encouragent des comportements plus responsables, et près de deux femmes sur trois se disent prêtes à payer plus cher pour des vêtements issus de filières socialement responsables.

Les consommateurs ne demandent pas la perfection. Ils attendent de la clarté. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le silence n’est pas une posture neutre : il entretient le flou, nourrit le doute. Et surtout, il a un coût.

Le coût silencieux de l’inaction

Une marque qui ne raconte pas son histoire laisse tôt ou tard quelqu’un d’autre la raconter à sa place.

Sans récit clair et crédible, la confiance s’érode, les consommateurs perdent leurs repères et les partenaires commencent à douter. En interne aussi, les équipes se déconnectent de leurs propres avancées : ce qu’on ne voit plus, on finit par ne plus y croire. Ce n’est plus de la prudence : c’est du désengagement.

D’autant que les efforts invisibles ne créent aucune valeur : ils ne nourrissent ni le marketing, ni l’attractivité de la marque employeur, ni le positionnement de marque.

Et dans un marché où la différenciation repose de plus en plus sur la transparence, ce qui n’est pas dit… n’existe pas.

Certes, la prudence était compréhensible, les critiques contre le greenwashing étaient justifiées et l’absence de cadre clair posait problème. Mais si la peur a pu être un réflexe temporaire, elle ne peut se transformer en choix durable.

Parce que si trop en dire peut exposer… ne rien dire, c’est disparaître.

Mettre fin aux dérives de la communication responsable en alignant discours et réalité

Si la crainte d’en dire trop est bien réelle, le risque de nuire à sa réputation l’est tout autant. Mais ils ne doivent pas faire oublier une chose : la nécessité d’avancer.

Aujourd’hui, et ce malgré l’absence de directives claires sur les allégations environnementales, les marques ne peuvent ni se réfugier dans le silence, ni se laisser aller à des promesses imprécises. Ce qui est attendu désormais n’est pas davantage de discours, mais une prise de parole plus rigoureuse, plus lisible, et plus durable.

Mettre fin aux dérives de la communication responsable ne passe ni par des slogans percutants, ni par des vidéos inspirantes.

Aujourd’hui, communiquer sur la durabilité suppose avant tout de structurer sa démarche et d’en maîtriser les fondements méthodologiques.

La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses marques disposent déjà d’actions concrètes à valoriser. Ce qui manque le plus souvent, ce n’est pas le contenu, mais le cadre pour le structurer et le traduire en messages clairs. Il est donc préférable de commencer par des initiatives solides, vérifiables et contextualisées.

Préparer le terrain pour poser les bases d’un discours crédible

Avant toute prise de parole, une étape de clarification interne s’impose. Il ne s’agit pas seulement de recenser ce qui est fait, mais de déterminer ce qui peut être communiqué, étayé et assumé publiquement. Cette préparation est indispensable pour construire un discours cohérent et maîtrisé.

Trois principes structurants peuvent guider cette démarche :

  1. Cartographier l’existant et clarifier sa portée : identifier les initiatives déjà en place (certifications, outils de traçabilité, indicateurs RSE) et distinguer clairement ce qui relève d’une obligation réglementaire de ce qui s’inscrit dans une démarche volontaire permet de construire un discours précis, sans confusion entre conformité et engagement.
  2. Fonder chaque message sur des éléments vérifiables : aucune allégation ne devrait être rendue publique sans preuve claire : données chiffrées, périmètre défini, méthodologie explicite, limites connues. Si l’information ne peut être justifiée, mieux vaut ne pas la diffuser.
  3. Aligner les équipes et définir les priorités : les équipes juridique, RSE, produit et communication doivent s’accorder sur un langage commun et un processus de validation clair. Il est recommandé de privilégier, dans un premier temps, des actions documentées et à faible risque (ex. : durabilité, réparabilité, traçabilité vérifiée), tout en définissant ce qui peut être communiqué immédiatement, et ce qui nécessite un délai.

De l’action à la prise de parole : que dire, et comment

Une fois ces fondations posées, les marques peuvent commencer à transformer l’action en preuve, et la preuve en discours crédible. Une communication structurée ne consiste pas à tout dire, mais à transmettre l’essentiel, de manière claire et argumentée.

La traçabilité peut permettre d’expliquer les choix d’approvisionnement, à condition d’aller au-delà des seules obligations réglementaires. Ce sont les décisions stratégiques qui méritent d’être mises en lumière : cartographie des fournisseurs, fréquence des audits, visibilité sur plusieurs niveaux de la chaîne. Les certifications apportent une réelle valeur, dès lors qu’elles sont explicitées. Lorsqu’elles ne concernent qu’une matière ou une étape, cela doit être précisé. Ce qui compte n’est pas le certificat en soi, mais le degré de transparence associé.

La transparence sur la chaîne d’approvisionnement est souvent perçue comme une contrainte. Pourtant, bien maîtrisée, elle devient un marqueur d’engagement. Jusqu’à quel degré les marques connaissent-elles et pilotent-elles leurs fournisseurs ? Quels sont les critères suivis ? Comment sont gérés les écarts ? Même dans un contexte complexe, une explication claire de l’approche adoptée contribue à instaurer la confiance.

La durabilité est un levier encore sous-exploité. Résistance à l’usure, renforts sur les zones sensibles, conception facilitant la réparation : autant de choix techniques qui ont un impact direct sur la performance environnementale. Avec l’ESPR qui rend certains de ces critères obligatoires, il devient essentiel de dépasser le minimum requis. Ce qui compte : ce qui a été testé, les seuils atteints, les efforts fournis.

Les dispositifs de réparation ou d’entretien permettent de concrétiser l’engagement. Guides pratiques, services en boutique, garantie de réparabilité : ces actions sont autant de signaux tangibles en faveur de la longévité produit. Dès lors que des données existent (nombre de réparations réalisées, taux d’utilisation), elles doivent être partagées. Et lorsque les utilisateurs sont impliqués, la communication devient d’autant plus engageante.

Les offres de seconde main ou de revente, lorsqu’elles sont structurées, permettent de démontrer un impact mesurable. Qu’elles soient opérées en interne ou via des partenaires, elles prolongent la durée de vie des produits et réduisent les émissions. Ici aussi, les résultats doivent être appuyés par des données, voire par des évaluations externes. Une affirmation comme « la revente permet jusqu’à 90 % de réduction d’émissions carbone par rapport à un achat neuf » n’a de portée que si elle est contextualisée.

En résumé : une démarche structurée permet de valoriser le fond. Et un contenu bien étayé, exprimé avec rigueur et transparence, constitue à la fois la meilleure protection et le message le plus convaincant.

Car lorsqu’un impact est réel, il mérite d’être visible.

Conclusion : quand l’exigence vient de l’intérieur

Dans un contexte où le risque réputationnel est élevé et le cadre réglementaire fragmenté, les marques n’ont plus à choisir entre le silence et l’excès.

La voie à suivre se trouve ailleurs : dans la clarté, la structuration et la responsabilité interne. Même en l’absence d’une directive européenne unifiée, les attentes sont, elles, parfaitement claires.

Les consommateurs exigent de la transparence. Les autorités restent actives à l’échelle nationale. Et les ONG continueront à contester toute allégation trompeuse.

Dans ce contexte, la rigueur interne n’est plus une simple bonne pratique : c’est un levier d’autorégulation, indispensable pour préserver la confiance comme la réputation.

Sortir du piège de la communication verte, c’est passer de la question « que peut-on dire ? » à « que peut-on démontrer, expliquer et assumer ? »

Cela suppose de :

  • Passer en revue ses actions avant de construire ses messages
  • Distinguer clairement le réglementaire du volontaire
  • Documenter chaque élément communiqué
  • Aligner les équipes en interne avant toute prise de parole externe
  • Et poser un cadre décisionnel pour chaque déclaration publique

En résumé : ne laissez pas la peur dicter votre discours. Faites-en un discours fondé sur des faits, structuré et solide.

Car lorsque les engagements sont réels, ils méritent d’être exprimés, avec clarté et assurance.

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